Agathe Dessaux

Agathe Dessaux sait raconter des histoires; elle le fait par le truchement de créations textiles en utilisant différentes techniques artisanales, dites « de grand-mère », faisant honneur spécialement à la sienne. Par ailleurs, à l’intérieur de ses ouvrages, Agathe encode des messages de résistance, de manière à poursuivre l’héritage des tricoteuses-espionnes du début du 20^e siècle qui camouflaient des informations codées dans les mailles de leurs tricots.

Depuis toute jeune, Agathe entretient une obsession pour les fils, une passion qui aujourd’hui, en brodant, tricotant, tissant et perlant des tissus, la fait dialoguer avec les époques. Grâce à la répétition de gestes anciens, qui sont activés par son corps archive (André Lepecki), elle affirme une filiation matrilinéaire et revalorise des savoirs féminins, souvent caractérisés à tort comme domestiques, leur attribuant dorénavant des forces féministes. À force de lier des fils, de faire et refaire des mouvements contenant de profondes mémoires somatiques, l’ouvrage textile soigne et restitue un pouvoir.

Avec 300, rue de l’Égalité, Agathe s’est engagée à démanteler des souvenirs et des traumatismes pour les reconstruire autrement. Bâtie tel un palimpseste d’actions rituelles, l’œuvre textile remémore l’arrière-goût des repas de son enfance. Bien que subjective, celle-ci ouvre aussi sur les expériences de table violentes et désastreuses tenues sous silence dans de nombreuses familles.

Dans l’espoir d’une libération affective souveraine, Agathe a posé des actions percutantes qui lui ont été cathartiques. Chacune d’elles fait partie de la séquence qui marque le récit de l’œuvre : récupérer le service à vaisselle familial et, dans une mise en scène stratégique, le casser; à l’aide de sa sœur, raviver sa mémoire pour retracer les dessins et les motifs de la nappe des repas quotidiens; à partir d’un métier Jacquard, « reconstruire » une nappe chargée d’une nouvelle profondeur; et, afin de révéler la douleur de la blessure familiale, accepter de déchirer le tissu.

Un tissage sur métier Jacquard permet d’entrelacer les fils de manière à concevoir des étoffes aux armures particulièrement durables et stables. En utilisant cette technique, plutôt que celle du tricot qui offre davantage de souplesse et de mollesse, Agathe confère spécialement à ce travail un geste de résistance, même si elle en a percé l’armure par la déchirure. Poussée par une forme de colère, mais soutenue par une compassion certaine, Agathe a ouvert des brèches d’espérance afin de conserver des parcelles de souvenirs lumineux.

Nous sommes privilégiées d’avoir côtoyé Agathe pendant ce processus viscéral; nous avons ainsi touché à des zones encore jamais explorées en ressentant la profondeur de ses gestes.

Pour nous, cette œuvre est un rituel de destruction réparatrice.